Banques centrales : vers une politique des « petits pas »

Retrouvez ma tribune publiée dans « Les Echos »

L’économie mondiale est en voie de ralentissement. Cela compliquera la situation des États et des acteurs privés très endettés. Mais cela devrait en principe faciliter la désinflation, donc ralentir la hausse des taux d’intérêt et peut-être faciliter ultérieurement leur baisse. Pourtant, l’activité résiste mieux que prévu et les marchés du travail continuent d’afficher des tensions – taux d’emploi élevés et taux de chômage faibles – qui entretiennent le niveau de l’inflation sous-jacente. Ce qui s’accompagne par voie de conséquence de gains de productivité très faibles, voire nuls.

Ainsi les politiques monétaires devront-elles poursuivre, avec beaucoup de prudence toutefois, leurs hausses de taux d’intérêt. Et a minima maintenir longtemps – plus longtemps que ne l’anticipent les marchés financiers – ce niveau de taux d’intérêt. Les causes de cette prudence impérative sont multiples. Les nouvelles conditions financières sont en effet resserrées et œuvrent par elles-mêmes au ralentissement du crédit et de l’économie. Les taux d’intérêt sont ainsi plus élevés, les primes de risque (« spreads ») plus importantes, les conditions d’octroi des crédits plus strictes, la liquidité à laquelle accèdent les banques moins abondante, etc. Il n’est donc pas absolument nécessaire de durcir encore fortement la politique monétaire. Les petits pas seront dorénavant de mise, avec une étude entre chaque décision de toutes les données disponibles, pour n’en faire ni trop ni trop peu.

Mais avant tout, les banques centrales sont évidemment rendues très prudentes par les vulnérabilités du système financier dans son ensemble. Certes les manifestations récentes de cette instabilité avaient des causes partiellement idiosyncratiques. La Silicon Valley Bank était mal gérée et sous-supervisée. La multiplication simultanée des cas et la contagion qui en a résulté montrent cependant le caractère potentiellement systémique de ces événements. Les taux longs trop bas trop longtemps ont conduit à une forte vulnérabilité de beaucoup de bilans. Au passif, parce que nombre d’entreprises et d’États, voire de particuliers, tant dans les pays avancés qu’émergents, ont pu s’endetter sans douleur apparente, jusqu’au surendettement avéré lorsque les taux d’intérêt se normalisent. À l’actif, parce que pour rechercher un peu de rendement en des temps de taux nuls, voire négatifs, les investisseurs finaux, directement ou à travers les divers gestionnaires d’actifs, ont été incités à prendre de plus en plus de risques, que ce soit par un allongement des maturités des actifs achetés, par une dissymétrie plus forte entre la duration de l’actif et du passif, par l’acceptation de risques de crédit ou actions plus élevés, par du levier toujours plus fort, etc. La remontée rapide des taux a rompu brutalement avec cette longue période de taux trop bas (id. inférieurs au taux de croissance), pendant laquelle l’accumulation de ces fragilités s’est réalisée. Aujourd’hui, les fortes bulles immobilières mondiales semblent de plus en plus vulnérables et le marché des actions connaîtra une chute d’autant plus forte qu’il continuera longtemps d’ignorer les effets progressifs du resserrement généralisé des conditions financières. Et le risque d’insolvabilité de nombreux acteurs très endettés a fortement monté.

Les banques centrales sont fort conscientes de cet état de fait, comme des risques engendrés par une situation géopolitique très tendue, entraînant entre autres une fragmentation coûteuse des zones économiques. Et bien que les banques en moyenne soient bien plus solides que lors de la grande crise financière, le « shadow banking » restant quant à lui nettement moins réglementé, les responsables de la politique monétaire redoubleront de prudence, mais préserveront leur indispensable crédibilité dans leur lutte contre l’inflation.

Directeur Général du Groupe BRED, professeur de macro-économie financière et de politique monétaire à HEC