Les banques changent de paradigme économique et financier

23.03.2023 6 min
Retrouvez ma tribune publiée dans "Revue Banque" le 23 Mars 2023

De fortes évolutions macrofinancières se sont produites à la sortie de la pandémie. Comment impactent-elles les métiers bancaires ?

Aujourd’hui, l’inflation est revenue et elle n’est pas que transitoire. Elle implique une remontée des taux d’intérêt, pour partie par le mouvement spontané des marchés financiers pour protéger peu ou prou les rendements réels des placements – même si les marchés semblent surestimer la rapidité et l’intensité de la baisse de l’inflation sous-jacente – et davantage encore par le changement de politique monétaire qui s’est imposé, avec la remontée des taux directeurs des banques centrales – qui sera pour les mêmes raisons probablement plus forte et sans doute plus longue que celle anticipée par les marchés – et la sortie lente mais régulière et programmée du « quantitative easing ».

Ces forts changements macro-financiers modifient en profondeur l’environnement dans lequel évoluent les banques. Par là-même, ils tendent de façon délibérée les conditions financières (taux de crédit, comme appétit au risque des prêteurs, primes de risque…) qui sont celles que ressentent tous les agents économiques. Et ce, afin précisément de réduire l’inflation. Notons par ailleurs que les marchés financiers, notamment boursiers, semblent sous-estimer l’effet sur l’économie de ce resserrement des conditions financières, ce qui pourrait provoquer plus tard une révision d’autant plus brutale des valorisations que cette prise en compte tarde.

Analysons donc les effets de ce changement de paradigme macro-financier pour les banques.

La liquidité

Pendant la crise de l’euro, les banques manquaient de liquidité. Les banques américaines avaient pratiquement d’ailleurs cessé de prêter aux banques européennes. Puis, à la sortie de la crise de la zone euro, avec les politiques de TLTRO, de « quantitative easing », etc., la liquidité était devenue surabondante et les surliquidités bancaires étaient devenues coûteuses, avec la politique de taux négatifs de la Banque centrale européenne (BCE). Le taux de la facilité de dépôt (taux de placement de la monnaie banque centrale détenue par les banques) a atteint – 0,5 %. Il s’agissait alors pour les banques d’éviter de détenir trop de liquidités.

Mais la remontée régulière des taux directeurs de la BCE, la sortie progressive dès mars de cette année en zone euro du « quantitative easing » – le « quantitative tightening » –, comme la fin progressive des TLTRO, changent la donne. La FED a commencé son « quantitative tightening » depuis juin 2022.

Cela signe la fin de la liquidité très abondante. C’est également la fin de l’argent gratuit. Et la fin de l’argent magique du même coup. Les conséquences immédiates en sont une montée de la compétition entre les banques pour attirer dans leur bilan les dépôts des clients, donc une montée accélérée de leur coût de ressources clientèle, tandis que le refinancement sur les marchés financiers a connu également un renchérissement marqué, avec la politique d’élévation des taux d’intérêt des banques centrales elles-mêmes.

Enfin, ces deux-trois dernières années ont connu une forte croissance des dépôts bancaires de par le soutien des pouvoirs publics aux entreprises et aux ménages pendant la pandémie – soutien lui-même permis par le financement du surcroît induit de la dette publique par la Banque centrale – et de par la chute temporaire des dépenses pendant les confinements. Ce phénomène a disparu. Poursuivre la croissance des crédits, sans faire davantage appel aux marchés financiers, demande donc à chaque banque une politique plus active de collecte des dépôts. Ce qui, au niveau des banques prises dans leur ensemble, renchérit mécaniquement déjà l’accès aux ressources clients, outre l’effet de la hausse des taux par la BCE.

La marge nette d’intérêt évolue

En apparence, ce sujet est paradoxal. Auparavant, les banques expliquaient à juste titre que l’effet taux d’intérêt sur leur MNI était négatif lorsque les taux longs se rapprochaient des taux courts, eux-mêmes tangentant zéro. Et effectivement, cette évolution de la structure des taux d’intérêt a été coûteuse pour les banques. Le taux de marge nette d’intérêt a ainsi été divisé environ par deux ces dix dernières années, les taux de la production de crédits et les taux de collecte des dépôts se rapprochant et tendant dangereusement vers zéro. Quelle industrie supporte-t-elle de diviser par deux ses taux de marge ?

Aujourd’hui, les taux montent et les banques commerciales énoncent que leur taux de marge nette d’intérêt en sera à nouveau transitoirement affecté. À la hausse comme à la baisse, notamment en France, les mouvements de taux seraient-ils donc défavorables aux banques ? Non. Mais, effectivement, pendant 12 à 18 mois environ, le coût des dépôts – notamment celui des livrets réglementés dont les taux sont fixés par des règles intégrant l’évolution du taux d’inflation – augmente plus vite que le rendement des crédits, parce que, par exemple en France, les encours de crédit dans les bilans des banques de détail sont pour beaucoup d’établissements plus à taux fixe qu’à taux variable, eu égard à l’importance des crédits aux particuliers, aux professionnels et aux PME qui empruntent globalement à taux fixe. Les ETI comme les grandes entreprises, quant à elles, empruntent davantage à taux variable et gèrent par elles-mêmes leur risque de taux d’intérêt.

Ainsi, plus les banques ont d’épargne réglementée (Livret A, etc.) à leur passif et de crédits immobiliers (à taux fixe en France et d’une durée de 20-25 ans) à l’actif, plus la hausse des taux d’intérêt détériore leur taux de MNI, et ce plus longtemps.

Cependant, à environ 18 mois, même pour ces banques, le rendement de l’actif remonte au-dessus du coût du passif, c’est-à-dire de leurs ressources. Reste que l’effet taux d’intérêt ne s’établira positivement après cette période de transition que si la structure des taux est normale, c’est-à-dire si les taux longs sont plus élevés que les taux courts. Une situation de taux inversée, généralement et heureusement non durable, est coûteuse pour les MNI bancaires, puisque, en ce cas, la production des crédits à moyen-long terme à taux fixe se réalise à des taux inférieurs aux coûts des dépôts qui sont indexés implicitement ou explicitement (pour les livrets réglementés) sur les taux courts et sur l’inflation.

La plupart des banques de détail ayant pour clientèle des particuliers, des professionnels et des PME ont donc connu un dernier trimestre 2022 plus difficile et connaîtront une année 2023 en retrait. Au cours de 2024, sous réserve d’une courbe des taux normale, leurs comptes de résultat devraient à nouveau s’améliorer.

L’effet volume sur la MNI bancaire pourra également être moins favorable, la moindre croissance et l’effet de la hausse des taux sur la demande de crédit pouvant conduire à une moindre production de crédits.

Le retour du coût du risque

2023 sera donc une année où la liquidité sera plus tendue et où, en moyenne, les banques commerciales connaîtront des baisses de leur taux de MNI. Elle sera également très probablement une année de remontée du coût du risque de crédit. Nous avons en effet connu ces dernières années un abaissement du coût du risque de crédit.

Les taux longs, très bas, trop bas, pendant trop longtemps, ont en effet conduit des entreprises à survivre alors qu’elles auraient disparu si les taux s’étaient établis à des niveaux « normaux » (égaux au taux de croissance nominal). Ce que l’on appelle dans la littérature économique des « entreprises zombies ».

De plus, à juste titre, les pouvoirs publics ont soutenu les entreprises pendant la pandémie, pour protéger la capacité de production nationale et les emplois, en faisant, en France par exemple, distribuer des prêts garantis par l’État (PGE). Or, parmi celles qui en ont bénéficié, plusieurs auraient naturellement disparu sans ces aides. Le début du remboursement de ces PGE en conduira indubitablement certaines à ne pas survivre.

Ne doutons pas en outre qu’avec des taux qui remontent et qui se normaliseront sans doute vers les 4 %, à travers les cycles, ces « entreprises zombies » ne pourront pas résister. De même que celles supportant des leviers trop importants. D’où une remontée irrépressible et normale du coût du risque à venir pour les banques.

L’année 2023 marquera donc pour les banques de détail un recul probable de leurs résultats. Et l’inflation impactant les frais généraux de toutes les entreprises ne pourra se répercuter de la même manière sur la tarification bancaire. Mais, si l’économie ne rentre pas en récession – elles semblent bien résister jusqu’alors et les anticipations de croissance s’améliorent – et si les bulles immobilières mondiales ne se dégonflent pas brutalement, de même que si les valorisations boursières élevées ne connaissent pas un changement prononcé et soudain d’opinion, les banques commerciales pourront au cours de 2024 commencer à voir leurs résultats s’améliorer à nouveau. Elles seront alors à même de continuer à contribuer activement au financement de la croissance économique.

Olivier Klein
Directeur Général du Groupe BRED, professeur de macro-économie financière et de politique monétaire à HEC