Retour sur les débats entre Olivier Klein et Xavier Bertrand sur le thème : « Inégalités des revenus, inégalités des chances », dans La Correspondance Economique

Lors d’une table ronde organisée par le cabinet Carlara, l’ancien ministre Xavier BERTRAND, président du Conseil régional des Hauts-de-France, et M. Olivier KLEIN, directeur général de Bred Banque populaire, ont débattu sur le thème « Inégalités des revenus, inégalités des chances ».

Le ca­bi­net Car­bon­nier, La­maze, Rasle & As­so­ciés (Carlara) a or­ga­nisé une confé­rence sur le thème « In­éga­li­tés des re­ve­nus, in­éga­li­tés des chances ». Le mou­ve­ment contes­ta­taire des « Gi­lets jaunes » a re­cen­tré le débat po­li­tique au­tour de cette ques­tion chère à nos va­leurs ré­pu­bli­caines, a sou­li­gné Me Edouard de LA­MAZE, avo­cat as­so­cié co-gé­rant du ca­bi­net Carlara, en in­tro­duc­tion du débat. L’éga­lité est, en effet, un des trois pi­liers de notre de­vise, a-t-il rap­pelé.

Pour dé­battre des en­jeux aussi bien éco­no­miques que so­cié­taux au cœur de cette pro­blé­ma­tique, le ca­bi­net Carlara a convié deux in­ter­ve­nants : M. Xa­vier BER­TRAND, qui fut mi­nistre du Tra­vail des trois gou­ver­ne­ments Fillon de 2007 à 2012, l’oc­ca­sion de mener plu­sieurs ré­formes à l’image no­tam­ment de l’ins­tau­ra­tion du ser­vice mi­ni­mum dans les trans­ports pu­blics et de la ré­forme des ré­gimes spé­ciaux de re­traite. Au­pa­ra­vant mi­nistre de la Santé et des So­li­da­ri­tés dans le gou­ver­ne­ment Vil­le­pin (2005-2007), il fut éga­le­ment dé­puté (LR) de l’Aisne entre 2002 et 2015 et maire de Saint-Quen­tin de 2010 à 2016. Au­jour­d’hui, pré­sident du Conseil ré­gio­nal des Hauts-de-France, M. Xa­vier BER­TRAND a pa­ral­lè­le­ment créé un think tank, La Ma­nu­fac­ture, conçue comme une boîte à idées. Et M. Oli­vier KLEIN qui cu­mule une double qua­lité, a sou­li­gné Me de LA­MAZE, d’uni­ver­si­taire et de pra­ti­cien de la fi­nance. Au­teur du Blog Note (www.​oklein.​fr), M. KLEIN est, en effet, pro­fes­seur af­fi­lié d’éco­no­mie et fi­nance à HEC où il est co-res­pon­sable de la ma­jeure Eco­no­mie et du mas­ter « Ma­na­ge­rial and Fi­nan­cial Eco­no­mics ». Après avoir oc­cupé, de 1985 à 1996, di­vers postes de res­pon­sa­bi­lité au sein de la Banque fran­çaise du com­merce ex­té­rieur (BFCE), il a re­joint le groupe Caisse d’Epargne en 1998 où il fut no­tam­ment pré­sident du di­rec­toire de la Caisse d’Epargne Ile-de-France Ouest (2000-2007) puis de la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes (2007-2010). Di­rec­teur gé­né­ral Banque com­mer­ciale et As­su­rances de BPCE de 2010 à 2012, il prit en sep­tembre 2012 la di­rec­tion gé­né­rale de BRED Banque po­pu­laire, fonc­tion que M. KLEIN oc­cupe de­puis lors.

Ar­ti­culé au­tour de deux sé­quences, le débat a tout d’abord été nourri par une ana­lyse de M. Oli­vier KLEIN qui a dressé un état des lieux de ces deux no­tions – in­éga­li­tés des re­ve­nus, in­éga­li­tés des chances – à par­tir d’une série d’in­di­ca­teurs clés. Avant que M. Xa­vier BER­TRAND ne confronte ce ta­bleau à la réa­lité du pays et n’avance les pistes pour re­tis­ser les liens d’une na­tion frac­tu­rée.

In­éga­li­tés des re­ve­nus : quelques in­di­ca­teurs clés

L’in­éga­lité est un mot vague, un concept fourre-tout qu’il convient de cir­cons­crire, a sou­li­gné M. Oli­vier KLEIN. Abor­dant, dans un pre­mier temps, la ques­tion des in­éga­li­tés de re­ve­nus, ce­lui-ci a rap­pelé de façon li­mi­naire que celles-ci ont consi­dé­ra­ble­ment baissé dans dif­fé­rentes zones du monde.

Quelques chiffres illus­trent cette évo­lu­tion. Selon la Banque Mon­diale, dans la dé­cen­nie 2010, 10 % de la po­pu­la­tion vi­vaient dans l’ex­trême pau­vreté avec moins de 1,90 dol­lar par jour contre 40 % avec moins de 1 dol­lar en 1980. En Chine et en Inde, 2 mil­liards de per­sonnes ont dé­passé le seuil de pau­vreté de­puis les an­nées 1980. Il y a, en effet, une crois­sance re­mar­quable du PIB par ha­bi­tant dans cer­taines zones du monde : Chine, Inde, Asie de l’Est.

* PPA : Pa­rité de pou­voir d’achat. Ce taux de conver­sion mo­né­taire ex­prime le rap­port entre la quan­tité d’uni­tés mo­né­taires né­ces­saire dans des pays dif­fé­rents pour se pro­cu­rer le même « pa­nier » de biens et de ser­vices.

Pa­ral­lè­le­ment, l’es­pé­rance de vie a connu, elle aussi, une évo­lu­tion fa­vo­rable : dans les an­nées 1980, il y avait 20 ans d’écart entre pays dé­ve­lop­pés et pays non dé­ve­lop­pés. Au­jour­d’hui, cet écart est de 9 ans.

Mais si les in­éga­li­tés entre pays ont si­gni­fi­ca­ti­ve­ment baissé, en re­vanche, à l’in­té­rieur même des pays, on a glo­ba­le­ment as­sisté à une hausse des in­éga­li­tés de re­ve­nus.

Plu­sieurs in­di­ca­teurs per­mettent de me­su­rer cet état de fait. Tel l’in­dice de Gini qui va de 0 à 1 (0 = éga­lité par­faite / 1 = in­éga­lité par­faite), cal­culé à par­tir de l’écart de re­ve­nus en pre­nant les ha­bi­tants 2 à 2. En uti­li­sant cet in­dice rap­porté aux pays de l’OCDE, on ob­serve que les in­éga­li­tés de re­ve­nus dans cha­cun d’entre eux sont un peu en hausse (l’in­dice de Gini est passé de 0,47 en 1990 à 0,51 au­jour­d’hui). Ce n’est pas une hausse ex­trê­me­ment forte, mais elle est néan­moins tan­gible.

Si l’on exa­mine la va­ria­tion des in­éga­li­tés de re­ve­nus avant re­dis­tri­bu­tion (ré­par­ti­tion pri­maire des re­ve­nus), on constate une aug­men­ta­tion dans qua­si­ment tous ces pays. S’agis­sant plus pré­ci­sé­ment de la France, sur la base des chiffres 2015 (dis­po­nibles pour l’en­semble des pays étu­diés), le ni­veau d’in­éga­li­tés avant re­dis­tri­bu­tion y est parmi les plus éle­vés des pays de l’OCDE. Sur ce même cri­tère, la France se sin­gu­la­rise éga­le­ment de la moyenne au sein de la zone euro.

Après re­dis­tri­bu­tion, la France est le pays qui a le plus faible ni­veau d’in­éga­li­tés de re­ve­nus

En re­vanche, après re­dis­tri­bu­tion, le constat est tout autre. Au vu des chiffres de 2015, la France est le pays qui a le plus faible ni­veau d’in­éga­li­tés de re­ve­nus du fait de sa po­li­tique de re­dis­tri­bu­tion qui a un effet puis­sant.

Au re­gard de l’in­dice de Gini avant et après re­dis­tri­bu­tion, l’im­pact en France est très élevé par rap­port aux autres pays de l’OCDE. Mais il l’est d’au­tant plus que les in­éga­li­tés de re­ve­nus avant re­dis­tri­bu­tion y sont éle­vées, a re­levé M. KLEIN.

Même constat au sein de la zone euro : la France ne cesse d’ad­di­tion­ner les ef­forts de re­dis­tri­bu­tion. Les autres pays de la zone euro éga­le­ment, mais la France est si­gni­fi­ca­ti­ve­ment au-des­sus de la moyenne. La France va beau­coup plus vite et beau­coup plus fort. L’in­éga­lité de re­ve­nus après re­dis­tri­bu­tion est, donc, faible en France.

Et ce constat est le même en uti­li­sant un autre in­di­ca­teur qui ana­lyse la pro­por­tion du re­venu na­tio­nal dé­te­nue par le 1 % des in­di­vi­dus qui ont les re­ve­nus les plus éle­vés. Aux Etats-Unis, 1 % des in­di­vi­dus dé­tient 22 % du re­venu na­tio­nal, ce qui té­moigne d’un fort ni­veau d’in­éga­li­tés. A l’in­verse, en France, ce 1 % dé­tient un peu plus de 10 % du re­venu na­tio­nal, en ligne avec la moyenne de la zone euro.

Troi­sième in­di­ca­teur dans ce re­gistre, celui qui me­sure la pro­por­tion de la po­pu­la­tion qui per­çoit un re­venu en des­sous du seuil de pau­vreté re­la­tif (soit en des­sous de 60 % du re­venu mé­dian) : là en­core (chiffres 2016), la France est parmi les pays où la pro­por­tion de sa po­pu­la­tion qui se situe en deçà de 60 % du re­venu mé­dian est la plus faible avec 14 %. La courbe est même en lé­gère di­mi­nu­tion de­puis 1998. Il n’y a donc pas d’ac­crois­se­ment de cette forme d’in­éga­lité en France. La France est si­gni­fi­ca­ti­ve­ment en des­sous de la moyenne de la zone euro, de 18 %.

Em­ploi : agir pré­ven­ti­ve­ment et pas seule­ment a pos­te­riori par le biais de la re­dis­tri­bu­tion

Une autre di­men­sion doit être prise en compte, celle du par­tage de la va­leur ajou­tée (VA). S’est-il fait au dé­tri­ment des sa­la­riés et en fa­veur des en­tre­prises, comme dans à peu près tous les pays de l’OCDE ? Si les sa­laires aug­mentent plus vite que la pro­duc­ti­vité, cela dé­forme la va­leur ajou­tée au pro­fit des sa­la­riés alors que la ten­dance in­verse la dé­forme au pro­fit des en­tre­prises. Trop de par­tage de la va­leur ajou­tée au pro­fit des en­tre­prises aug­mente les in­éga­li­tés et, in fine, va peser sur la crois­sance. Mais une dé­for­ma­tion au pro­fit des sa­la­riés, alors même que le taux de pro­fit sur PIB dans l’Hexa­gone est parmi les plus faibles de toute la zone Euro, ne va pas né­ces­sai­re­ment dans le sens de l’em­ploi, a mis en garde M. KLEIN.

Aux Etats-Unis, le sa­laire réel par tête a aug­menté beau­coup plus fai­ble­ment que la pro­duc­ti­vité. Avec la mon­dia­li­sa­tion et les nou­velles tech­no­lo­gies, on y a as­sisté à une dé­for­ma­tion très forte au pro­fit des en­tre­prises et au dé­tri­ment des sa­la­riés. On fait le même constat au Japon, tout comme en Al­le­magne même si la ten­dance est moins ac­cen­tuée. En re­vanche, la France est l’un des rares pays de l’OCDE où l’évo­lu­tion est in­verse : les sa­laires y ont aug­menté au dé­tri­ment de la pro­duc­ti­vité. Ce qui, de fait, a pour consé­quence une perte de com­pé­ti­ti­vité de ses en­tre­prises.

Enfin, si l’on exa­mine les écarts de l’in­dice de Gini avant et après re­dis­tri­bu­tion, on constate lo­gi­que­ment que tous les pays qui ont plus de re­dis­tri­bu­tion ont plus de pres­ta­tions so­ciales en pro­por­tion du PIB.

Pour com­prendre l’exis­tence de fortes in­éga­li­tés avant re­dis­tri­bu­tion en France, il convient de faire un constat : le taux d’em­ploi dans l’Hexa­gone, à sa­voir la part de la po­pu­la­tion au tra­vail rap­por­tée à la po­pu­la­tion to­tale en âge de tra­vailler, est parmi les plus faibles des pays de l’OCDE. Ainsi, voit-on que le taux d’em­ploi aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, au Ca­nada, en Suède se situe entre 70 et 80 %. Tout comme l’Al­le­magne et l’Aus­tra­lie qui se si­tuent au­tour de 75 %. Alors que la France se situe, elle, à 65 %. En des­sous, à 60 %, fi­gurent l’Ita­lie et l’Es­pagne. Plus qu’un écart entre les plus hauts et les plus bas re­ve­nus, c’est ce chiffre qui ex­plique no­tam­ment la forte in­éga­lité des re­ve­nus avant re­dis­tri­bu­tion qui pré­vaut en France, avec une pro­por­tion plus im­por­tante de per­sonnes que dans d’autres pays vi­vant de sub­sides et non d’un sa­laire, por­teur d’un ni­veau de re­venu plus im­por­tant. On re­lève, en outre, que le taux d’em­ploi des 60-64 ans est de près de 32 % en France contre 47 % en moyenne dans la zone euro.

Il y a donc une cor­ré­la­tion entre l’in­dice des in­éga­li­tés de re­ve­nus avant re­dis­tri­bu­tion et le taux d’em­ploi avec un ni­veau d’in­éga­li­tés ici d’au­tant plus élevé que le taux d’em­ploi est faible. Même si ce n’est pas le seul dé­ter­mi­nant, a ce­pen­dant tem­péré M. Oli­vier KLEIN.

Lo­gi­que­ment, plus la re­dis­tri­bu­tion so­ciale est forte, via des pres­ta­tions so­ciales éle­vées, plus la pres­sion fis­cale est im­por­tante, ce tant sur les en­tre­prises que sur les mé­nages. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas sans rap­port avec le taux d’em­ploi trop faible. Ainsi, la France a-t-elle un taux de co­ti­sa­tions so­ciales sur PIB bien plus élevé que dans les autres pays de la zone euro. C’est une bonne chose en soi car cela fi­nance la re­dis­tri­bu­tion mais cela pèse sur la com­pé­ti­ti­vité des en­tre­prises, qui vont alors moins em­bau­cher, pe­sant alors sur le taux d’em­ploi qui sera plus faible. D’où une cor­ré­la­tion entre le taux d’em­ploi et le ni­veau de co­ti­sa­tions so­ciales : plus les co­ti­sa­tions so­ciales sont éle­vées, plus le taux d’em­ploi est faible. C’est un cercle vi­cieux. Nous avons un trai­te­ment cu­ra­tif et non pré­ven­tif. La mé­ca­nique de re­dis­tri­bu­tion est ver­tueuse car elle mi­nore les in­éga­li­tés. Mais jus­qu’à un cer­tain ni­veau, au-delà du­quel elle en­traîne des ef­fets né­ga­tifs. Il est donc in­dis­pen­sable d’agir pré­ven­ti­ve­ment, afin d’amé­lio­rer le taux d’em­ploi, et pas seule­ment a pos­te­riori, en fai­sant de la re­dis­tri­bu­tion.

Ainsi, la part des co­ti­sa­tions so­ciales des en­tre­prises en France rap­por­tée au PIB est 60 % plus élevé, à plus de 11 %, que la moyenne de leurs ho­mo­logues dans les autres pays, com­pa­rables, de la zone euro, avec un taux de l’ordre de 7 %.

NB : Les cor­ré­la­tions ci-des­sus ont été réa­li­sées par le ser­vice éco­no­mique de Na­tixis.

Si l’on pour­suit la com­pa­rai­son de la si­tua­tion de la France par rap­port aux autres pays de la zone euro, on constate que le taux d’im­pôt sur les en­tre­prises rap­porté au PIB en France est de 17 % contre 11 % en moyenne dans la zone euro. Ce n’est donc pas en aug­men­tant les im­pôts qu’on va créer de l’em­ploi. Même constat s’agis­sant des mé­nages : la pro­por­tion des im­pôts pe­sant sur les mé­nages rap­por­tée au PIB est de près de 35 % en France contre 29 % dans la zone euro. Quant au sa­laire mi­ni­mum en pour­cen­tage du sa­laire mé­dian en France, il est déjà très élevé par rap­port à la moyenne de la zone euro. Si on l’aug­mente, on fait sor­tir de l’em­ploi tous ceux qui ont une pro­duc­ti­vité faible. En re­vanche, les com­plé­ments de re­venu pour per­mettre de tra­vailler avec le SMIC est un outil beau­coup plus adapté.

Une forte in­éga­lité des chances en France

Mais il y a une autre forme d’in­éga­li­tés à prendre en compte : l’in­éga­lité des chances. Elle peut être me­su­rée de plu­sieurs ma­nières : par le sta­tut so­cio-éco­no­mique qui se trans­met plus ou moins for­te­ment d’une gé­né­ra­tion à une autre ; par la cor­ré­la­tion entre le re­venu des pa­rents et celui des en­fants une fois sur le mar­ché du tra­vail (en France, cor­ré­la­tion forte) ; par la cor­ré­la­tion entre le ni­veau de di­plôme des pa­rents et le ni­veau de di­plôme des en­fants une fois les études ter­mi­nées (en France, elle est plus forte qu’ailleurs).

On constate qu’en France, le pour­cen­tage d’hommes dont le père a de faibles re­ve­nus et qui ont eux-mêmes de faibles re­ve­nus est de 35 %, contre 31 % en moyenne dans l’OCDE. A l’op­posé, le pour­cen­tage d’hommes en France ayant de hauts re­ve­nus et dont le père a aussi de hauts re­ve­nus est de 40 %. D’un côté, c’est une poche de ri­chesse et de l’autre côté, une trappe de pau­vreté à l’en­vers. Il y a une forte cor­ré­la­tion entre le ni­veau de re­ve­nus des pa­rents et des en­fants. Dès lors, le constat est sans appel : il y a de fortes in­éga­li­tés des chances en France avec une faible mo­bi­lité so­ciale entre les gé­né­ra­tions.

L’OCDE me­sure com­bien il faut de gé­né­ra­tions pour que des in­di­vi­dus nés dans une fa­mille à faibles re­ve­nus puissent ac­cé­der au re­venu mé­dian. Au Da­ne­mark, il faut 2 gé­né­ra­tions ; en Suède 3 ; en Es­pagne et au Ca­nada 4 ; aux Etats-Unis, en Corée du Sud, au Royaume-Uni, en Ita­lie : 5 ; en France 6. La moyenne de l’OCDE est à 5. Der­rière la France, il y a l’Al­le­magne, la Hon­grie, le Chili, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud.

Or, cet enjeu est fon­da­men­tal car l’éga­lité des chances fonde la ca­pa­cité à vivre en­semble et est au cœur de la co­hé­sion so­ciale. Mais elle est éga­le­ment por­teuse d’un point de vue éco­no­mique. Si une re­la­tive in­éga­lité des re­ve­nus est né­ces­saire pour l’in­no­va­tion, l’en­tre­pre­neu­riat, elle n’est ac­cep­table que si elle est fon­dée sur l’éga­lité des chances, ou, à tout le moins, une faible in­éga­lité des chances. En re­vanche, cu­mu­ler in­éga­lité des re­ve­nus ET in­éga­li­tés des chances, au-delà des as­pects de jus­tice so­ciale, nuit à la crois­sance. Enfin, l’éga­lité des chances per­met de mo­bi­li­ser tous les ta­lents. A l’in­verse, s’en pri­ver, c’est pé­na­li­sant au re­gard de la crois­sance et de l’in­no­va­tion.

Un autre in­di­ca­teur montre la fra­gi­lité de la France sur ce ter­rain : la pro­por­tion de jeunes dé­sco­la­ri­sés et sans em­ploi. Elle est en France de 17 %, contre 10 % en Al­le­magne et de l’ordre de 8 % aux Pays-Bas.

Der­nier in­di­ca­teur que l’on peut ana­ly­ser, l’en­quête PIAAC de l’OCDE (« éva­lua­tion des com­pé­tences des adultes », réa­li­sée tous les trois ans par l’OCDE, NDLR) qui me­sure le taux de com­pé­tences ac­quises par les sa­la­riés en en­tre­prise en termes de maî­trise du lan­gage et de ma­thé­ma­tiques ap­pli­quées : le po­si­tion­ne­ment de la France se dé­grade. Elle se situe dé­sor­mais en-des­sous de la moyenne de la zone euro. Or, il y a une cor­ré­la­tion entre l’ac­qui­si­tion de com­pé­tences, le ni­veau de for­ma­tion et le taux d’em­ploi. A l’heure de la mon­dia­li­sa­tion et de la ré­vo­lu­tion tech­no­lo­gique, le taux d’em­ploi est porté par le sa­voir. Dans le même re­gistre, l’en­quête PISA (Pro­gramme in­ter­na­tio­nal pour le suivi des ac­quis des élèves, ndlr) menée par l’OCDE tous les trois ans au­près des jeunes de 15 ans, montre une dé­gra­da­tion des ré­sul­tats de la France même si son score est dans la moyenne de celui de la zone euro. La ré­forme de l’Edu­ca­tion na­tio­nale est donc un enjeu dé­ci­sif afin de re­nouer avec les sa­voirs fon­da­men­taux.

En conclu­sion, on ob­serve le lien entre crois­sance, in­no­va­tion et éga­lité des chances. C’est cette com­bi­nai­son qui per­met de tirer un pays vers le haut et aux po­pu­la­tions les plus fra­giles de s’en sor­tir, a sou­li­gné M. Oli­vier KLEIN.

Au­jour­d’hui, on as­siste à une crois­sance tirée par l’in­no­va­tion. Ce n’est plus une crois­sance de rat­tra­page comme ce fut le cas dans les an­nées d’après-guerre et jus­qu’aux an­nées 70. C’est par l’in­no­va­tion qu’on sti­mule les ta­lents et que l’on par­vient à une éga­lité des chances car l’in­no­va­tion crée des rup­tures et casse les rentes et les po­si­tions ac­quises. La crois­sance par l’in­no­va­tion est fa­vo­ri­sée par une so­ciété plus mo­bile. Elle est la seule qui vaille dans un en­vi­ron­ne­ment mon­dia­lisé et fondé sur les nou­velles tech­no­lo­gies. C’est un cercle ver­tueux.

Dans ce contexte, il est d’au­tant plus im­por­tant de ne pas se trom­per de diag­nos­tic. Ainsi, en France, il y a une in­éga­lité de re­ve­nus plus faible qu’ailleurs grâce à une re­dis­tri­bu­tion forte. Mais cette re­dis­tri­bu­tion forte n’est pas le ré­sul­tat d’une po­li­tique pré­ven­tive mais d’une po­li­tique cu­ra­tive. Il faut donc cher­cher à aug­men­ter le taux d’em­ploi. Ce n’est donc pas la même chose, en termes de po­li­tique éco­no­mique que si l’on était dans une si­tua­tion de forte in­éga­lité de re­ve­nus qui condui­rait à aug­men­ter les im­pôts.

Au vu de ce constat, M. Oli­vier KLEIN a dé­fendu les grandes ré­formes struc­tu­relles qu’il juge in­dis­pen­sables. Elles sont au nombre de trois : le mar­ché du tra­vail, la for­ma­tion et la re­traite.

S’agis­sant de l’em­ploi, on constate certes des orien­ta­tions qui vont dans le bon sens, mais les ef­forts de­meurent en­core in­suf­fi­sants. Il faut, d’une façon ou d’une autre, par­ve­nir à rendre le re­tour à l’em­ploi plus in­ci­ta­tif.

Cela veut dire, aussi, aller cher­cher les gens pour les for­mer. Bais­ser d’an­née en année dans les clas­se­ments PISA et PIAAC est dé­sas­treux dans le monde de l’éco­no­mie du sa­voir et de la connais­sance qui est le nôtre au­jour­d’hui. Il faut, d’une part, mettre en avant la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, ré­forme qui jus­qu’à au­jour­d’hui n’a ja­mais été vé­ri­ta­ble­ment faite en France. Les dé­penses de for­ma­tion/PIB y sont les plus éle­vées de la zone euro. Le pro­blème ne vient donc pas des moyens, mais d’une meilleure uti­li­sa­tion des dé­penses. Il faut, d’autre part, pla­cer le socle des sa­voirs fon­da­men­taux au cœur de l’en­sei­gne­ment dans les écoles. L’ac­tion menée sur les pre­mières an­nées est, donc, es­sen­tiel. Toutes les études sur l’ef­fi­ca­cité de la for­ma­tion montrent que tout se joue à la ma­ter­nelle et au pri­maire. Cela passe éga­le­ment par une re­mise à plat des pro­grammes. Dans ce do­maine, plu­sieurs ré­formes sont d’ailleurs me­nées dans ce sens à l’heure ac­tuelle, a-t-il salué au pas­sage.

Enfin, la troi­sième ré­forme in­dis­pen­sable est celle des re­traites. Au vu de l’im­por­tance des dé­fi­cits, une so­lu­tion s’im­pose aux yeux de M. KLEIN, celle de l’aug­men­ta­tion de l’âge de dé­part à la re­traite compte tenu de l’évo­lu­tion de l’es­pé­rance de vie. Ré­for­mer la re­traite, c’est aussi don­ner une in­dis­pen­sable vi­si­bi­lité. Or, cha­cun est conscient d’une chose, c’est que le sys­tème n’est pas équi­li­bré.

voir l’as­su­rance d’at­teindre l’équi­libre en fonc­tion de l’évo­lu­tion de l’es­pé­rance de vie per­met­trait à cha­cun de sa­voir sur quoi il pourra ta­bler le mo­ment venu, in­ci­te­rait à épar­gner un peu moins et in fine per­met­trait de vivre un peu mieux. C’est es­sen­tiel en termes de pré­vi­si­bi­lité et c’est ras­su­rant pour tout le monde, a-t-il conclu.

Pour M. Xa­vier BER­TRAND, re­mettre le pays en mou­ve­ment est une im­pé­rieuse né­ces­sité sans quoi on peut re­dou­ter le pire

Xa­vier BER­TRAND l’a de nou­veau mar­telé le 19 sep­tembre lors de la nou­velle émis­sion po­li­tique sur France 2 « Vous avez la pa­role » que le pré­sident de la Ré­gion Hauts-de-France a inau­gu­rée : plus que de bouts de ré­formes, c’est d’une vé­ri­table re­fon­da­tion dont le pays a be­soin. Une re­fon­da­tion qui doit per­mettre de ré­con­ci­lier les Fran­çais et de re­tis­ser des liens mis à mal, mais éga­le­ment de re­nouer avec la confiance, no­tam­ment avec les res­pon­sables po­li­tiques.

Comme l’ont re­levé plu­sieurs des in­ter­ve­nants lors du débat or­ga­nisé par le ca­bi­net Carlara, le mou­ve­ment des « Gi­lets jaunes » a mis bru­ta­le­ment en lu­mière ces frac­tures, ma­ni­fes­te­ment sous-es­ti­mées, qui minent la so­ciété fran­çaise. Cha­cun est dé­sor­mais conscient que l’on est à un mo­ment char­nière où le pays peut bas­cu­ler. Soit il bas­cule vers une so­ciété où l’on s’ef­force de ré­con­ci­lier les ci­toyens entre eux. Soit on risque de vivre de plus en plus les uns à côté des autres. D’où l’im­pé­rieuse né­ces­sité de re­mettre le pays en mou­ve­ment, a in­sisté l’an­cien mi­nistre. Et ce, en ré­pon­dant à trois ques­tions, a-t-il dé­taillé ré­cem­ment sur France 2 : com­ment ré­pa­rer les frac­tures fran­çaises ? Com­ment re­bâ­tir une nou­velle so­ciété en France ? Com­ment re­lan­cer le pays en lui don­nant de vé­ri­tables pers­pec­tives ?

Il faut déjà ces­ser de se trom­per sur les choix po­li­tiques et éco­no­miques et rompre avec ces échecs qui ne datent pas de 24 mois mais plu­tôt de 20 ou 30 ans. On est face à un défi, a sou­li­gné M. BER­TRAND, alors que la réa­lité, ainsi que M. Oli­vier KLEIN en a fait la dé­mons­tra­tion, est très dif­fé­rente de la per­cep­tion.
Pré­ci­sé­ment, a in­ter­rogé M. Fa­brice DE­MA­RI­GNY, pré­sident de Ma­zars So­ciété d’avo­cat et res­pon­sable glo­bal de l’ac­ti­vité Fi­nan­cial ad­vi­sory et Ca­pi­tal mar­kets du groupe Ma­zars, com­ment fait un res­pon­sable po­li­tique pour que, dans un tel contexte, les ci­toyens qui peuvent être très à l’écoute de dis­cours sim­plistes, puissent re­trou­ver une connexion entre les faits et les ob­jec­tifs de po­li­tiques conçues pour ré­pondre à de vé­ri­tables en­jeux mais qui né­ces­sitent du temps ? En un mot, pour que le lien se re­tisse. Re­trou­ver une écoute chez les ci­toyens, une lé­gi­ti­mité, passe par l’ac­tion, a fait va­loir M. Xa­vier BER­TRAND. En étant concret et en ap­por­tant des so­lu­tions.

Alors que les in­jus­tices sont de­ve­nues des frac­tures, quels sont les re­mèdes ?

Deux vi­sions semblent se té­les­co­per, a de son côté re­levé M. Mi­chel DI­DIER, pré­sident de Rexe­code : d’un côté l’ob­ser­va­tion sta­tis­tique na­tio­nale d’où il res­sort que la France re­dis­tri­bue beau­coup et contient les in­éga­li­tés de re­ve­nus ; de l’autre, la réa­lité d’une frac­ture ter­ri­to­riale qui fra­gi­lise le pays. Il convien­drait de res­tau­rer une po­li­tique d’amé­na­ge­ment du ter­ri­toire.

Il faut, ici, dis­tin­guer l’in­éga­lité de re­venu, net­te­ment cor­ri­gée en France, et l’in­éga­lité des chances qui y est une réa­lité, a sou­li­gné M. Oli­vier KLEIN. Ef­fec­ti­ve­ment res­sen­tie par les Fran­çais, ils ne la concep­tua­lisent pas comme telle pour au­tant. En par­lant d’in­éga­lité, c’est bien le blo­cage de la so­ciété fran­çaise qui est en cause. Pro­blé­ma­tique qu’il faut as­su­ré­ment af­fron­ter, elle sup­pose d’agir tant sur ceux qui sont au bas de l’échelle afin de faire re­par­tir l’as­cen­seur so­cial, que sur cette no­menk­la­tura au som­met convain­cue que le pou­voir lui est dû quoi qu’il ar­rive. Il re­joint M. Xa­vier BER­TRAND qui a in­sisté plus glo­ba­le­ment sur la ques­tion, à ses yeux es­sen­tielle, de la dé­con­nexion de l’élite po­li­tique et du fossé exis­tant entre ceux qui di­rigent la France, et les Fran­çais. Ques­tion qui ne date ce­pen­dant pas d’au­jourd’­hui.

Quant au défi de la frac­ture ter­ri­to­riale et aux moyens d’ac­tions dont une Ré­gion dis­pose pour y re­mé­dier au plus près du ter­rain, M. Xa­vier BER­TRAND a tout d’abord in­sisté sur ces in­éga­li­tés per­çues comme au­tant d’in­jus­tices. Ce qui ex­plique le tour très émo­tion­nel pris ces der­niers mois. In­jus­tices qui sont de­ve­nues des frac­tures, de sur­croît par­ti­cu­liè­re­ment nom­breuses, qu’elles soient ter­ri­to­riales ou autres.

Ainsi en est-il en ma­tière d’édu­ca­tion. A cet égard, l’idée du mi­nistre de l’Edu­ca­tion na­tio­nale Jean-Mi­chel BLAN­QUER de tout miser sur l’école pri­maire, avec no­tam­ment le dé­dou­ble­ment des classes, est une voie in­té­res­sante même s’il faut aller beau­coup plus loin, a es­timé M. Xa­vier BER­TRAND. Au glo­bal, ce n’est pas une ques­tion de moyens sup­plé­men­taires – qui de toute façon n’exis­te­ront plus, a-t-il re­levé -, mais une ques­tion d’ef­fi­ca­cité de la dé­pense pu­blique et des prio­ri­tés que l’on se fixe.

In­éga­li­tés, éga­le­ment, au re­gard de l’ac­cès aux ser­vices pu­blics avec la ques­tion du maillage ter­ri­to­rial et des zones ru­rales qui se sentent aban­don­nées.

In­éga­li­tés en ma­tière de re­traite avec, no­tam­ment, la ques­tion des « pe­tites re­traites ». Com­ment ad­mettre, en effet, qu’une per­sonne qui a fait toute sa car­rière au SMIC, entre 1100 et 1200 euros, tou­chera une re­traite in­fé­rieure à 1000 euros. Avec, de sur­croît, un mi­ni­mum vieillesse à 868 euros… Et c’est tout le dis­cours sur la va­leur tra­vail qui, au mo­ment du dé­part en re­traite, est mis à mal. Sans par­ler des conjoints de com­mer­çants, ou en­core des agri­cul­teurs qui touchent, en moyenne, une pen­sion de 750 euros. Or, qui mieux que ceux-ci sym­bo­lisent la va­leur tra­vail, a re­levé M. Xa­vier BER­TRAND.

En­core peut-on citer l’in­éga­lité face aux soins. Sujet d’im­por­tance sur le­quel il y a sou­vent une confu­sion. Quand on parle d’un be­soin de dis­po­ser de ser­vices pu­blics de santé de proxi­mité, ce qui est en cause, ce sont avant tout les ur­gences. En re­vanche, s’agis­sant d’actes spé­cia­li­sés, il im­porte en prio­rité d’avoir suf­fi­sam­ment de mé­de­cins qui pra­tiquent suf­fi­sam­ment d’actes pour qu’il n’y ait pas d’in­éga­li­tés en termes de sé­cu­rité des pa­tients, quitte à faire quelques di­zaines de ki­lo­mètres de plus, a tenu à sou­li­gner l’an­cien mi­nistre de la Santé.

Ou bien la ques­tion du lo­ge­ment, source d’in­éga­lité criante entre les Fran­çais avec 4 mil­lions d’entre eux qui sont, au­jour­d’hui, mal logés. Pro­blé­ma­tique pour­tant bien connue mais sur la­quelle rien ne bouge.

Ou en­core, sujet cen­tral s’il en est, la ques­tion du chô­mage et des in­éga­li­tés face au tra­vail.

Enfin, l’in­éga­lité face au nu­mé­rique ne doit pas être en reste. Si l’illet­trisme est un vrai sujet, l’illec­tro­nisme ne sera pas en reste. Il y a une ten­ta­tion d’al­ler vers le tout nu­mé­rique. Or, un cer­tain nombre de Fran­çais ne sont pas à l’aise dans ce re­gistre. Ne pas en tenir compte, c’est prendre le risque de les iso­ler.

Au cœur de toutes ces thé­ma­tiques, on re­trouve, en effet, la ques­tion cru­ciale de la frac­ture ter­ri­to­riale. Et le pré­sident de la Ré­gion Hauts-de-France de prendre en exemple sa ré­gion avec Lille qui se porte bien, et à 50 mi­nutes de là, des ter­ri­toires où le taux de chô­mage est cinq fois su­pé­rieur, avec des dif­fé­ren­tiels d’es­pé­rance de vie très im­por­tants. Pour­tant, il s’agit de la même ré­gion et du même pays, a-t-il in­sisté.

Une exi­gence : pou­voir agir plei­ne­ment sur le bloc des com­pé­tences dé­vo­lues à la ré­gion

Pour contri­buer à y re­mé­dier, les ré­gions dis­posent de trois com­pé­tences : les trans­ports, les ly­cées, l’éco­no­mie. En ma­tière de trans­port, M. BER­TRAND a fait le choix de ne fer­mer au­cune gare ni au­cune ligne de che­min de fer. Choix qui s’avè­rera moins coû­teux qu’on ne le pense en par­ti­cu­lier si, comme il le sou­haite, il re­prend la main dans ses re­la­tions avec la SNCF. Une gare qui ferme alors que des gens prennent en­core le train, c’est le sym­bole qu’ils n’existent plus, a-t-il sou­li­gné. Ce der­nier a éga­le­ment mis en place une « aide au trans­port aux par­ti­cu­liers » (ATP) des­ti­née, sous cer­taines condi­tions, aux sa­la­riés qui n’ont d’autre choix que d’uti­li­ser leur voi­ture pour se rendre à leur tra­vail. Lancé en 2016, le dis­po­si­tif a été élargi en jan­vier der­nier et a d’ores et déjà bé­né­fi­cié à plus de 60 000 per­sonnes alors que quelque 100 000 aides ont été ver­sées, a-t-il dé­taillé ré­cem­ment sur France 2. Il en va de même avec les ly­cées. D’où l’idée, quand cela s’avère né­ces­saire, de les trans­for­mer, par exemple en centres de for­ma­tion avec une dy­na­mique en­tre­pre­neu­riale. Ce qui per­met de main­te­nir l’ac­ti­vité.

Sur le plan éco­no­mique, a re­levé le pré­sident de la Ré­gion, les Hauts-de-France ont été clas­sés 1ère ré­gion fran­çaise pour les in­ves­tis­se­ments in­dus­triels selon le bilan 2018 des In­ves­tis­se­ments Di­rects Etran­gers pu­blié par Bu­si­ness France, et ce pour la deuxième année consé­cu­tive. Mais il n’en­tend pas en res­ter là. Et de plai­der en fa­veur de l’ins­tau­ra­tion de zones franches pour des im­plan­ta­tions in­dus­trielles. Certes, cela veut dire « moins d’im­pôts » ré­col­tés à court terme, mais cela veut dire « plus d’em­plois » tout de suite. De même, mi­lite-t-il pour dis­po­ser de la frac­tion na­tio­nale de la contri­bu­tion sur la va­leur ajou­tée des en­tre­prises (CVAE) dont il pour­rait, par exemple, exo­né­rer une nou­velle en­tre­prise qui s’im­plante. Au­tant d’ou­tils qui des­si­ne­raient un amé­na­ge­ment ter­ri­to­rial digne de ce nom, a-t-il dé­fendu.

Al­lant plus loin, M. Xa­vier BER­TRAND a an­noncé le lan­ce­ment de son ini­tia­tive « Hauts-de-France 2020-2040 » avec la mise en place d’une consul­ta­tion des ha­bi­tants de sa ré­gion pour voir com­ment ils se pro­jettent dans l’ave­nir et dé­ci­der des grandes orien­ta­tions d’amé­na­ge­ments des Hauts-de-France pour les 20 pro­chaines an­nées. Leur mise en œuvre se­rait ac­com­pa­gnée de la créa­tion d’une « DATAR ré­gio­nale » [NDLR, Dé­lé­ga­tion in­ter­mi­nis­té­rielle à l’amé­na­ge­ment du ter­ri­toire et à l’at­trac­ti­vité ré­gio­nale : créée en 1963, elle fut re­grou­pée, en 2014, avec d’autres ins­ti­tu­tions au sein du Com­mis­sa­riat gé­né­ral à l’éga­lité des ter­ri­toires-CGET ; ce der­nier de­vrait être en­globé à l’ave­nir dans la fu­ture Agence na­tio­nale de la co­hé­sion des ter­ri­toires (cf. CE des 17/05 et 21/06/2019) ]. Cette agence ré­gio­nale, de petit for­mat pour res­ter agile, aura une mis­sion d’amé­na­ge­ment du ter­ri­toire, de pros­pec­tive, d’in­no­va­tion et d’éva­lua­tion, a-t-il dé­taillé, afin d’ai­der à pen­ser l’or­ga­ni­sa­tion éco­no­mique de la ré­gion pour l’ave­nir.

Au final, M. Xa­vier BER­TRAND ne de­mande pas un nou­veau grand soir de la dé­cen­tra­li­sa­tion, mais seule­ment de pou­voir agir plei­ne­ment sur le bloc des com­pé­tences dé­vo­lues à la Ré­gion. Ré­af­fir­mant son at­ta­che­ment au rôle de l’Etat, mais d’un Etat avec une vi­sion, une am­bi­tion, ce­lui-ci a plaidé pour qu’il se re­centre sur ses fonc­tions ré­ga­liennes afin de lais­ser les autres ac­teurs, telles les Ré­gions, re­prendre la main sur leurs do­maines de com­pé­tences. Ainsi, sur le plan éco­no­mique, de­vraient-elles pou­voir sai­sir le co­mité in­ter­mi­nis­té­riel pour la re­struc­tu­ra­tion in­dus­trielle-CIRI, ou en­core gérer les im­plan­ta­tions d’en­tre­prises en n’ayant plus qu’un seul in­ter­lo­cu­teur de bout en bout et en dé­cloi­son­nant le pro­ces­sus à l’image de ce qui se passe à quelques ki­lo­mètres de là, en Bel­gique.
« Je ne de­mande pas un euro sup­plé­men­taire », a fait va­loir le pré­sident des Hauts-de-France qui n’a qu’une exi­gence : « pou­voir prendre la main » afin que les dos­siers puissent être vé­ri­ta­ble­ment dé­cen­tra­li­sés. Fai­sant le constat, sans appel, d’« un sys­tème de gou­ver­nance po­li­tico-ad­mi­nis­tra­tive à bout de souffle », « ce n’est pas notre mo­dèle », a-t-il re­levé. Et de plai­der pour « re­nouer avec l’es­prit du mo­dèle fran­çais. Cela sup­pose d’avoir des mi­nistres qui sont les vé­ri­tables pa­trons de leur ad­mi­nis­tra­tion et de » tran­cher ce nœud gor­dien de la com­plexité ad­mi­nis­tra­tive ». Mais le temps presse, a-t-il in­sisté.

Il ne faut pas se trom­per, ni sur les maux ni sur les frac­tures, a mis en garde M. BER­TRAND en conclu­sion. Si l’on es­time que c’est leur ré­sorp­tion qui doit être la prio­rité, l’al­pha et l’oméga ne sont pas for­cé­ment un nou­veau grand soir fis­cal. La prio­rité est avant tout l’em­ploi.

L’un des grands échecs du mo­dèle fran­çais : le chô­mage

Or, l’un des grands échecs de notre mo­dèle de pro­tec­tion so­ciale, c’est pré­ci­sé­ment la ques­tion du re­tour à l’em­ploi. Nous nous sommes ha­bi­tués de­puis des dé­cen­nies à vivre avec un taux de chô­mage élevé qui se­rait in­sup­por­table dans tout autre pays. 3,5 mil­lions de per­sonnes ne tra­vaillent plus et pour beau­coup d’entre elles, de­puis long­temps. Presque 5 mil­lions de per­sonnes sont pri­vées d’em­plois, pour une rai­son ou pour une autre, a-t-il re­levé. Pour­quoi ? Parce que nous avons créé une forme d’ad­dic­tion à l’im­pôt et nous n’avons ja­mais vrai­ment eu une ob­ses­sion pour l’em­ploi, les res­pon­sables po­li­tiques ten­dant à se ré­fu­gier der­rière l’idée que l’« on a tout es­sayé contre le chô­mage ». A l’in­verse, dans une so­ciété qui tend vers le plein em­ploi, la ten­sion na­tu­relle sur les sa­laires s’opère. Le rap­port entre la pro­duc­ti­vité et le ni­veau des sa­laires s’équi­libre de façon éco­no­mi­que­ment saine. Ainsi, M. Xa­vier BER­TRAND en est convaincu, beau­coup de nos pro­blèmes viennent de ce refus de consi­dé­rer l’em­ploi en France. Mais si l’on dé­cide de faire de l’em­ploi une stra­té­gie pleine et en­tière – qui doit dé­pas­ser une simple ré­forme de l’as­su­rance chô­mage -, on peut chan­ger la donne et ré­pondre de ma­nière pré­ven­tive et pas seule­ment cu­ra­tive à cette ques­tion.

Deux di­men­sions sont alors à prendre en consi­dé­ra­tion. Tout d’abord, une di­men­sion eu­ro­péenne, qui dé­passe le cadre na­tio­nal. Nous avons eu la chance, ces der­nières an­nées, d’avoir avec Mario DRA­GHI, un pa­tron de la Banque cen­trale eu­ro­péenne vi­sion­naire et prag­ma­tique qui, dans la li­mite des sta­tuts de son ins­ti­tu­tion, a fait le maxi­mum. Il en se­rait au­tre­ment avec un di­ri­geant qui les ap­pli­que­rait à la lettre : s’ils ciblent bien la lutte contre l’in­fla­tion, certes un sujet très im­por­tant, ils ne disent rien en re­vanche en ma­tière de plein em­ploi et de crois­sance, a re­gretté M. Xa­vier BER­TRAND. En­suite, une di­men­sion na­tio­nale : on est, en France, dans une lo­gique de baisse des pré­lè­ve­ments. Or pour cela, il faut bais­ser la dé­pense pu­blique. « J’étais per­suadé que nous au­rions des ré­sul­tats plus si­gni­fi­ca­tifs », a dé­ploré ce der­nier.

Ré­forme des re­traites : ga­ran­tir le sys­tème en main­te­nant le ni­veau de vie et ré­pa­rer les in­éga­li­tés

Pour­tant, il y a un do­maine où il est aisé de bais­ser les dé­penses en gé­né­rant des mil­liards d’eu­ros d’éco­no­mies, c’est celui des re­traites, en re­le­vant pro­gres­si­ve­ment l’âge de dé­part à la re­traite. Une seule année sup­plé­men­taire cor­res­pond à 6 mil­liards d’eu­ros. Trois an­nées sup­plé­men­taires, ce sont 15 à 18 mil­liards d’eu­ros. On peut ainsi ga­ran­tir le sys­tème et ré­pa­rer les in­éga­li­tés. Une adap­ta­tion ré­gu­lière du sys­tème de re­traite est, au de­meu­rant, in­évi­table pour faire face à l’al­lon­ge­ment de l’es­pé­rance de vie tout en main­te­nant le ni­veau de vie des re­trai­tés.

En effet, il n’y a que deux al­ter­na­tives : soit les Fran­çais ac­ceptent de tou­cher une pen­sion moins éle­vée, soit ils ac­ceptent de tra­vailler un peu plus long­temps. Ce peut être en re­cu­lant l’âge de dé­part à la re­traite ou en al­lon­geant la durée de co­ti­sa­tion, comme le pré­co­nise plu­tôt la CFDT. Ou en com­bi­nant les deux. Les Fran­çais sont conscients qu’il n’y a pas d’autre op­tion. Il n’est pas im­pos­sible de re­nouer avec les ef­forts, si tant est que l’on n’ou­blie pas la jus­tice en route. Ainsi faut-il tenir compte de la dif­fé­rence d’es­pé­rance de vie – près de 7 ans – entre un ou­vrier et un cadre su­pé­rieur et étu­dier com­ment prendre en compte la pé­ni­bi­lité, en met­tant en place un sys­tème de re­traite an­ti­ci­pée, sans pour au­tant re­créer une usine à gaz.

Mais force est de consta­ter que l’on se heurte à un tabou en France. Mais à un tabou pu­re­ment po­li­tique, est convaincu M. Xa­vier BER­TRAND. A force de pré­sen­ter cette ré­forme comme une ré­forme pa­ra­mé­trique, tech­nique, vi­sant à ré­duire les dé­fi­cits, « on a perdu les Fran­çais en route », a-t-il re­gretté. C’est bien cette dé­con­nexion, ce dé­ca­lage qui est le plus pro­blé­ma­tique, as­sure-t-il.
Ce qui est es­sen­tiel, c’est donc bien le mon­tant des re­traites, et der­rière le ni­veau de vie des re­trai­tés et leur pou­voir d’achat, au­jour­d’hui et de­main. En dé­ci­dant de ne pas in­dexer les pen­sions sur l’in­fla­tion, en aug­men­tant de sur­croît le taux de CSG, on a rompu un en­ga­ge­ment jusque-là in­tan­gible de main­te­nir le ni­veau des re­traites, a dé­ploré l’an­cien mi­nistre du Tra­vail. Mais au-delà de ce coup de canif, c’est plus glo­ba­le­ment la ré­forme qui se pré­pare que ce­lui-ci a dé­non­cée, ré­forme qu’il a qua­li­fiée lors de l’émis­sion « Vous avez la pa­role » sur France 2 d’« hy­po­crite, in­juste et dan­ge­reuse ». En effet, si le sys­tème de re­traite par points a le mé­rite de la sim­pli­cité et s’ac­com­pagne d’un ali­gne­ment de tous sur les mêmes règles, il doit ce­pen­dant être com­plété de garde-fous afin de ga­ran­tir qu’il n’y ait pas, le mo­ment venu, de baisse de pen­sions. A titre d’exemple, dans le privé, ce sont au­jour­d’hui les 25 meilleures an­nées qui sont prises en compte. Dans un sys­tème par points, toutes les an­nées entrent en ligne de compte, y com­pris les an­nées de moindres re­ve­nus. Et de sug­gé­rer, pour ras­su­rer les Fran­çais, la mise en place avant le vote de la loi d’un si­mu­la­teur in­di­vi­duel.

La si­tua­tion de la France re­quiert une triple exi­gence : lu­ci­dité, créa­ti­vité, cou­rage

En conclu­sion, M. Xa­vier BER­TRAND a in­sisté sur la né­ces­sité de prendre la me­sure de la gra­vité de la si­tua­tion et de res­sou­der le pays en s’at­ta­chant à ré­duire les frac­tures, nom­breuses, que la crise des Gi­lets jaunes a mises en lu­mière mais qui ne sont pas nou­velles. La ques­tion des in­éga­li­tés est, en effet, une de celles qui peut nous ame­ner dans le mur. Fort de son ex­pé­rience dans sa ré­gion des Hauts-de-France, il ne sau­rait ex­clure l’ar­ri­vée des ex­trêmes au pou­voir, nombre de ci­toyens étant per­sua­dés qu’ils n’ont rien à perdre à es­sayer ce qui ne l’a ja­mais été, a-t-il re­levé. Le phé­no­mène n’est d’ailleurs pas que fran­çais alors que l’on as­siste, en Eu­rope no­tam­ment, à leur mon­tée qui semble inexo­rable.

La si­tua­tion re­quiert une triple exi­gence : lu­ci­dité, créa­ti­vité, cou­rage. Pre­mier pi­lier, donc, ne plus se trom­per de constat, ne pas craindre de dire la vé­rité, en un mot faire preuve de lu­ci­dité. Mais celle-ci est-elle par­ta­gée par tous les di­ri­geants ? Il en doute, conscient du che­min qu’il a lui-même par­couru. Ce n’est pas un pro­blème de qua­lité des élites, ab­so­lu­ment né­ces­saires, mais de dé­con­nexion.

Deuxième pi­lier, in­suf­fler des idées nou­velles et faire preuve de créa­ti­vité en n’hé­si­tant pas, comme lui-même l’a fait dans sa ré­gion, a testé des so­lu­tions dis­rup­tives. Ce fut le cas du dis­po­si­tif « Pro­ch’Em­ploi », re­gardé avec dé­dain par cer­tains. A l’ar­ri­vée, ce sont deux tiers de re­tour à l’em­ploi. Il s’agit de connec­ter ou re­con­nec­ter les gens au monde du tra­vail avec des aides aux trans­ports, des aides à la garde d’en­fants. Cela touche quelque 100 000 per­sonnes. Ou en­core via un nou­veau ser­vice pour fa­ci­li­ter l’orien­ta­tion de jeunes, « Pro­ch’Orien­ta­tion », dont les pa­rents ont plus dif­fi­ci­le­ment accès aux in­for­ma­tions sur l’em­ploi. Une ap­proche ana­logue de­vrait pré­va­loir au ni­veau na­tio­nal afin de com­bi­ner les ou­tils de part et d’autre. Mais pour être ef­fi­cace, il faut im­pé­ra­ti­ve­ment pou­voir dé­cloi­son­ner les dis­po­si­tifs.

Troi­sième pi­lier, ne pas avoir peur d’en­tre­prendre les ré­formes avec cou­rage. A cet égard, la mise en place du quin­quen­nat fut une « ter­rible er­reur », a dé­ploré M. Xa­vier BER­TRAND se dé­cla­rant, tout comme M. Oli­vier KLEIN, fa­vo­rable à un man­dat un peu plus long, 6 ans par exemple, et non re­nou­ve­lable, ga­rant d’une plus grande ef­fi­ca­cité. Voilà, dans ce contexte, l’en­jeu pour les res­pon­sables po­li­tiques. Sans quoi, on peut re­dou­ter le pire, a-t-il mis en garde.